L'oldonyo Lengai
08/04/2006 Ce matin 27 Janvier, nous quittons Arusha vers l’Ouest en direction du conservatoire du Ngorongoro.Route goudronnée, facile, comparé à ce qui nous attend plus au Nord.
Et nous le savons.
Deux heures de route nous amènent au village de Mto Wa Mbu. Le temps pour Françoise et Marie Noëlle de faire quelques achats touristiques, et nous empruntons la piste vers le Nord et nos objectifs, le lac Natron et le volcan Ol Doinyo Lengai.
Trois heures de pistes, type « carton ondulé » au début, puis sablonneuse
et poussiéreuse comme de la farine.
Ces fines particules s’immiscent partout dans la mécanique et les corps.
La chaleur s’élève au fur et à mesure de notre progression vers ces contrées désolées et arides. 45°C est une température moyenne au lac Natron.
En chemin nous voyons beaucoup de carcasses d’animaux domestiques
morts par manque d’eau et de nourriture.
Cette année la sécheresse sévit durement dans toute l’Afrique de l’Est, du Nord de la Tanzanie, où nous sommes, jusqu’à l’Éthiopie, en touchant le Kenya et le Soudan. Nous touchons de prés le désarroi des populations locales. Nous retrouverons cela un peu plus tard chez nos amis Masaï au Nord d’Arusha. La piste est difficile, le moteur chauffe, la climatisation se déconnecte, en se mettant en mode sécurité. Ouvrir les vitres c’est faire entrer la poussière dans la cabine. Nous nous arrêtons une première fois au bord d’un effondrement volcanique : une sorte de cratère de déjection mais sans cône, creusé dans le sol. Le paysage alentours est immense.
Plus à l’est un escarpement rocheux arrête le regard. Nous allons le longer jusqu’à notre destination : le village de Ngare Sero. Ne cherchez pas sur la carte, il ne figure sur aucune. Ce village Masaï est érigé sur un torrent qui s’écoule de la montagne toute proche. De quoi vit ce village ? Le lac Natron est une région majestueuse, au paysage ouvert et grandiose. La lumière y est exceptionnelle. Les eaux peu profondes du lac attirent une population de flamands roses très fournie, qui vient se reproduire sur ces berges. Quelques zèbres et quelques ânes viennent compléter la faune locale. Nous sommes en terre massaï. Mais la zone est difficile d’accès. Aucune capacité d’accueil pour les touristes n’existe en dehors de deux campings issus d’une action communautaire masaï.
Pendant notre séjour au même emplacement, nous n’avons vu défiler que des personnes attirées par l’escalade du volcan. Elles restent une ou deux nuits puis repartent généralement par la route qui les a amenée. Pas de quoi s’enrichir. Nous nous sommes installés à trois kilomètres du village, dans un camping au bord du torrent : un vrai torrent aux eaux limpides et fraîches. Il descend directement de la montagne. La première nuit est réservée au repos et aux préparatifs de l’ascension de ce qui sera le temps fort de notre expédition tanzanienne : l’Ol Doinyo Lengai, la montagne des dieux en langue masaï. Au village, nous trouvons un guide, M. Bura, qui a accompagné Nicolas Hulot lorsqu’il s’est rendu dans la région quelques années auparavant, pour un reportage diffusé dans USHUAIA.
Nous mettons au point les détails de l’expédition : départ du camp à 23 heures en voiture ; trois quart d’heure pour arriver le plus haut possible par route ; à minuit commencera la marche. On prépare les bâtons, deux litres d’eau par personnes, un peu de nourriture, une polaire (au sommet il fait froid, et même dans la montée), et …les lampes électriques. Et bien sur, on négocie le prix de la course. La communication s’établie doucement et les langues parlent : la montée n’est pas difficile nous apprend le guide et la course n’est pas dangereuse. Par contre la pente est attaquée en directe, et s’incline verticalement au fur et à mesure de la montée. Deux d’entre nous pensent déjà à la descente, et à l’aplomb qu’ils vont devoir affronter.
Françoise jette l’éponge à cette évocation, et Eva affaiblie physiquement par une douleur à la hanche et par crainte du vertige, décide de ne pas faire l’ascension. Et bien leur en a pris. Cette course est difficile et dangereuse, pour des personnes non entraînées et non habituées à ce genre d’exercice comme la plupart d’entre nous. Il nous a fallu six heures et demie, à petite allure, j’en conviens pour monter dans les cendres volcaniques instables et les éboulis. Certains renoncerons à atteindre le sommet après avoir donné toutes leurs forces disponibles. Dommage, car la récompense de tous ces efforts est fabuleuse : au moment de notre arrivée au sommet, le soleil se lève derrière le Kilimandjaro visible plein Est, au loin. Petit à petit, le jour fait place à l’obscurité. La boule de feu solaire grandie dans le ciel apportant la joie d’une matinée radieuse et la chaleur bienfaitrice effaçant les douleurs de la nuit. Nous découvrons alors le sommet du volcan. Paysage surréaliste et torturé d’un lac de lave éteinte. Formes ubuesques, dessins abstraits, coulées gigantesques, le tout figé dans une ambiance de dernier jour. Une mini flaque de lave active au fond d’un puit et les quelques cheminées fumantes de vapeur de soufre, montrent que le volcan est seulement en veille, et se réveillera à nouveau. La dernière éruption sérieuse remonte à 1992. Le sommet apparaît comme une grande vasque remplie de lave. On imagine facilement ce réceptacle déborder au moment paroxysmique, par les bords les plus bas et se répandre en longues coulées verticales sur le cône extérieur du volcan. En contrebas, le lac Natron, réceptacle naturel de ces déjections. La lave en s’oxydant devient blanche comme le sel dont elle est composée, renforçant la féerie du décor. Nous ne sommes pas les seuls animaux à fréquenter ces lieux : nous découvrons des traces de pattes de babouins et d’autres mammifères que nous n’identifions pas. Nous ne pouvons nous attarder très longtemps.
A 8 h nous commençons la descente dans l’ombre du cône du volcan. Le soleil bienfaiteur à son lever, devient vite un ennemi farouche. Il se lève plus vite que nous ne progressons, et rapidement la descente devient un enfer. Trois heures et demie dans les éboulis et la poussière. Nos jambes ne nous portent plus. Je finis par descendre en reculant tant mes muscles des cuisses sont douloureux : je suis incapable de marcher normalement. Mais ma souffrance ne ressemble en rien à ce que Léo a subi. Il gardera à vie le souvenir de son passage sur ces terres : son Golgotha. Toute la sainte trinité a défilé devant ses yeux ébahis. Arrivé en bas au bord de l’apoplexie, il faut quatre bras pour le hisser dans la Land Rover. Le retour au camp se déroule dans un silence absolu, et le reste de l’après midi se passe en repos réparateur. Pendant ce temps Françoise et Eva ont tissé des liens avec les Masaï qui vivent autour du camp. Une saine relation d’échange s’est établie, et un autre regard est porté par eux sur notre groupe. Nous leur laissons des tirages de photos faites des poses martiales ou en famille, en grande tenue masaï qu’ils ont prises devant l’objectif. Dépasser l’image que l’on a a priori des uns et des autres, permet d’entrer dans la compréhension des différences.
Ce n’est malheureusement pas les dépasser.
Pierre